Kisangani asbl

Lufutu (2)

août 2002

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"Mais allé", disait Christine, membre de l’asbl Kisangani, qui lisait le numéro précédant de Boyoma "ce Lufutu d’après la photo ne semble pas être si vieux". "Oui, Christine, quand il rit, il semble rajeunir de trente années." Thérèse, une autre admiratrice du projet, me racontait qu’elle avait essayé de prononcer, les yeux fermés, le nom de Louououffffffoutou. Elle en était bouleversée : la nuit, il apparaissait dans son rêve, habillé d’une peau de léopard. "Mama Telesa" dit-il, "tu as prononcé mon nom. Je voudrais te récompenser avec de l’aulacode grillé dans le pilipili avec des bananes améliorées, frites dans l’huile de palme. Tout cela provenant du paradis de Misjeu Igo Kevala (Hugo Gevaerts)." "Et Thérèse", lui demandai-je "comment s’est évolué ton rêve ?" "Très agréablement" disait-elle "mais je ne m’étendrai pas, seulement, les fruits de toutes sortes du projet, que Lufutu me laissait goûter, étaient si bons, que j’ai décidé de continuer à payer ma contribution au projet."

Espérons que beaucoup de lecteurs et lectrices seront récompensés dans leur rêves après la prononciation du nom de Louffoutou…Mon ami Lufutu est très heureux avec son nouveau vélo. Son vélo précédent était volé il y a quatre ans, par un soldat de Mobutu, qui fuyait l’armée du père Kabila avec ses enfants soldats, suivi de groupes militaires ruandaises. Le vélo est momentanément à Kisangani le moyen de transport le plus efficace et le plus rapide pour les hommes et les marchandises. Les quelques voitures et véhicules tout terrain se déplacent à une moyenne de 10 km à l’heure à cause de l’état lamentable des routes.

Le vélo-taxi populaire s’appelle ’toleka’ (nous passons). Le ’toleka’ est conduit par des jeunes gens solides. Leurs vélos sont décorés de lanières et le siège pour passagers est pourvu d’un coussin coloré. Des miroirs, sonnettes et trompes ornent le volant. Sur le garde-boue noir on a peint en lettres blanches un nom ou un slogan spirituel : avion rapide, vitesse de Dieu, ozali kitoko (tu es belle) etc. etc. Des centaines de ’toleka’ circulent à Kisangani. Un phénomène jamais vu ! Des jeunes gens, le haut du corps nu, qui brille de sueur, passent avec leur ’toleka’. Derrière eux des mamans avec dix ou vingt kilos de bagages et un enfant sur le dos. Ils pédalent et soufflent cinq, dix, douze kilomètres… pour survivre. A la fin de la journée ils ont gagné deux ou trois euro, dont ils doivent céder une partie au propriétaire et à l’état.

Oui, cela ne m’étonnerait pas que Lufutu prête son vélo a un membre lointain de sa famille. Ainsi il gagne encore quelque chose ! Le dimanche, il visitera, avec son vélo, maman Alice, dans la zone de la Tshopo, qui lui donnera un verre de lotoko. Le lotoko ou angwalo est une boisson forte alcoolique que les femmes, dans les environs de Kisangani, distillent, souvent à partir d’un mélange de manioc fermenté et du maïs, parfois de bananes plantain et de riz. Ceci est très laborieux. Pour beaucoup de femmes c’est leur seul moyen de subsistance. C’est le cas de maman Alice qui, depuis le départ de Magda et Erik, chez qui elle faisait du travail ménager, n’a plus trouvé un travail fixe. Le dimanche après-midi, beaucoup de gens se rassemblent autour de la maison de maman Alice. Lufutu écoute alors silencieusement les conversations qui traitent surtout de l’actualité politique. Lorsque les discussions se détériorent on demande l’avis de Lufutu. Le Topoke se dresse alors, vide son verre de lokoto sachant que quelqu’un le remplira à nouveau, prend sa tabatière (qu’il a reçu de Magda), renifle un peu de tabac et éternue bruyamment. Il regarde ses interlocuteurs, ses yeux scintillent, racle sa gorge et dit : "oyoki" (écoutez)…Suit une analyse détaillée bantoue des faits, qui est approuvé par tout le monde par un "hèèèè" positif.. (à suivre)